Blog du Pr Rabah AIT-HAMOUDA

Blog du Pr Rabah AIT-HAMOUDA

Infectiologie


De l'expression clinique de la COVID-19

Mystérieuse comme tout ce qui vient du soleil levant, la COVID-19 n’arrête pas de nous surprendre. 

 

Naissante, bruyante, extensive, conquérante, cette maladie défit le monde dans ce qu’il a de plus puissant, là n’est pas le débat ; il est dans le visage clinique qu’elle nous présente à chaque saut de continent.

 

Il est classiquement connu que chaque maladie infectieuse s’exprime par des signes qui en font la description la plus classique.

 

Cette expression est certes dépendante de l'agent pathogène, de son impact sur les organes, mais également des caractéristiques démographiques et sanitaires des populations en termes d'immunité individuelle et collective, et de comorbidités. 


Les séries de cas décrits on chine ont donné les caractéristiques cliniques et épidémiologiques de départ. Ce tableau aboutit une définition initiale des cas. 

 

Je pense que nous allons observer avec le temps d’autres expressions cliniques différentes de ce qui a été observé en chine et dans peu de temps nous allons avoir trois expressions :

      • l'expression chinoise
      • l'expression européenne
      • l'expression africaine


1) L’expression chinoise initiale : atteinte respiratoire plus ou moins grave pouvant aller au SDRA et syndrome de défaillance multiviscérale. Une gravité et une létalité associée à l’âge, aux comorbidités. Mais curieusement pas ou peu d’enfants et de femmes enceintes et pas ou rarement de PVVIH (peut-être protégés par les ARV)

 

2) Une expression européenne actuelle où l'on décrit :

      • des formes graves chez les jeunes,
      • fréquence de signes non décrits précédemment en chine comme des signes digestifs, neurologiques, une anosmie, une agueusie et qui constituent actuellement en Europe un signe d’appel retenu. 

 

Je reste curieux de voir quel va être l’impact de la maladie chez enfants et les femmes enceintes et les PVVIH en Europe. L’Italie possède après le japon la population la plus importante de personnes âgées d'où une létalité dépassant celle de chine. 


3) L’Afrique semble prendre du retard pour probablement une raison de faible connexion aérienne avec les pays d'Asie. Maintenant que l’Europe est touchée, des cas vont être introduits par des émigrés africains en Europe  de retours chez eux. Et là on va avoir l'expression africaine avec tout son fardeau de malnutrition, de parasitoses et autres fléaux pouvant interagir pour donner à la maladie une particularité africaine. Et quel sera l’impact chez les enfants et les femmes enceintes et les PVVIH sans accès au traitement.


A la fin, nous aurons une expression clinique de la COVID avec des particularités.
Il faut retenir, comme le dit Raoult, que ‘’les maladies infectieuses sont des maladies d’écosystème’’ ; elles ne sont jamais figées ni dans leur genèse, ni dans leur développement, ni dans leur expression. Cet écosystème va de la niche écologique microscopique réalisée par une communauté multicellulaire dans un biofilm  jusqu’à l’écosystème macroscopique planétaire soumis à des interactions entre les déterminants humains, animaux et environnementaux ; d’où le concept ‘’one World, one Heath’’. 

 

Elles se présentent et se présenteront sous un autre visage comme l’avait prédit Charles Nicolle dans ‘’Destin des maladies Infectieuses’’.

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Dr. Rabah AIT-HAMOUDA, Professeur en Infectiologie

Vice-Président chargé de la Commission Scientifique de la Société Algérienne d’Infectiologie (SAI)

 

Service des Maladies Infectieuse, EPH et Faculté de Médecine, Université Ben Boulaid, Batna 2


19/05/2023
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L’Algérie à l’épreuve d’une nouvelle maladie

Vous pouvez vous présenter ?

 

Je m’appelle Rabah AIT-HAMOUDA, je suis professeur en infectiologie à Batna. Je suis issu de l’école des Maladies Infectieuses de Constantine, j’ai créé et dirigé le Service des Maladies Infectieuses de Sétif de 1984 à 1998 et depuis cette date je suis à Batna. Je suis vice-président chargé de la commission scientifique de la Société Algérienne d’Infectiologie (SAI).

 

Question 1 : Parlez-nous de cette nouvelle maladie, de son origine.

 

Vous m’obligez à reprendre ce que j’ai dit dans une publication précédente mais c’est toujours utile de reprendre les choses dans ce qu’elles ont d’essentiel.

Vous avez bien dit ‘’nouvelle maladie’’, effectivement c’en est une, on les appelle scientifiquement ‘’les maladies émergentes (ME)’’ selon l’OMS. Ce sont une trentaine de maladies qui signent ce 21e siècle, et qui viennent s’ajouter à d’autres maladies chroniques non transmissibles liées au développement telles que le diabète, les maladies cardiovasculaires, le syndrome métabolique, le cancer et autres pour alourdir le destin de l’homme contemporain et qui de ce fait constituent une préoccupation sanitaire mondiale. Ces ME sont infectieuses, souvent virales et dans plus de 80% zoonotiques c’est-à-dire d’origine animale. Elles sont dues au passage d’un virus de l’animal à l’homme, c’est qu’on appelle le ‘’franchissement de la barrière inter-espèces’’.

 

Le 29 décembre 2019, des cas de pneumopathies inhabituelles ont été répertoriées à Wuhan une ville de 11000.000habitants de Chine. Rapidement un coronavirus a été identifié en microscopie électronique dans les prélèvements respiratoires des patients. Les coronavirus sont virus à ARN, portant une enveloppe hérissée de spicules en couronne d’où leur nom ‘’corona’’. Cette enveloppe les rend fragiles dans le milieu extérieur, aux détergents et désinfectants comme l’alcool, l’hypochlorite de sodium (eau de Javel) et autres savons. Certains virus à ARN ont de grandes capacités de mutation liées à des erreurs de transcription ARN-ADN les rendant plus virulents, ou leur permettant d’infecter d’autres espèces animales dont l’homme que celles qui les hébergent habituellement.

 

Les coronavirus sont des virus animaux, connus depuis très longtemps des vétérinaires, mais en 1960, des variants ont été identifiés chez l’homme ; ce sont les ‘’Human-coronavirus’’ au nombre de quatre circulant continuellement dans la population provoquant des ‘’rhumes’’ banals sans mortalité. À côté de ces habituels et gentils coronavirus vont émerger trois nouveaux virulents :

  • Le premier émerge en 2003 à Guangdong. C’est un coronavirus des chauves-souris frugivores, affecte 8.000 personnes et tue 623 personnes dans un tableau d’insuffisance respiratoire aigüe : on l’appelle SRAS-CoV (coronavirus du syndrome respiratoire aigu sévère). Son émergence n’a pas réussi c’est-à-dire qu’il n’a pas été capable de se pérenniser chez l’homme.
  • Le deuxième fait son apparition en 2012au Moyen-Orient (Arabie Saoudite), appelé MERS-CoV (Middle-East Respiratory Syndrome coronavirus) touchant entre 2012-2019, 2.458 personnes dont 845 décès. Il est toujours en circulation actuellement au Moyen-Orient.
  • Et en décembre 2019, apparait le troisième, ce nouveau coronavirus à Wuhan, on le dénomme SRAS-CoV-2 car il ressemble génétiquement au premier de 2003. La maladie respiratoire surtout et polyviscérale dans certains cas qu’il provoque s’appelle COVID-19 (Corona Virus Infected Disease, la maladie due à l’infection par coronavirus, 19 pour l’année 2019)

 

Ce qui est avancé scientifiquement, c’est que ces trois coronavirus émergents, comme beaucoup d’autres (Ébola en Afrique équatoriale, Nipah et Hendra au sud-est asiatique, en Australie) sont hébergés de façon naturelle et pérenne par des grandes chauves-souris frugivores qui n’existent pas chez nous. À un moment donné, ces virus peuvent passer de la chauve-souris à l’homme. Ce mécanisme de franchissement se fait par des mutations successives qui consistent à ‘’se fabriquer’’, une clé d’entrée chez l’homme. Ce franchissement se fait souvent après plusieurs tentatives de réajustement souvent non visibles cliniquement lors de contaminations isolées et finissent en empruntant un raccourci par passage d’abord chez un animal proche de l’homme qui devient, de ce fait, un hôte intermédiaire. Pour le SRAS 2003, on incrimine un mustélidé, la genette palmée, pour le MERS-CoV, c’est le dromadaire et pour ce nouveau venu, on suspecte le pangolin, un mammifère recouvert d’écailles.

 

L’homme s’infecterait par contact étroit, dépeçage de carcasse, consommation de chair peu cuite.

 

Ce nouveau virus a muté, il s’est fabriqué la clé et a franchi la barrière pour passer chez l’homme : il a réussi son émergence, sa pérennisation en provoquant une pandémie mondiale c’est-à-dire sortir du foyer originel et circuler de façon autochtone dans plusieurs continents devenant une menace sanitaire mondiale.

Alors, la première idée, qui circule, est de dire que c’est arrivé parce que les chinois mangent des animaux. C’est faux, il n’y a pas que les chinois, tout le sud-est asiatique a comme tradition culinaire de consommer ces animaux et cela depuis des millénaires.

 

Vidéo de l'entretien YouTube :

 

 

 

Question 2 : Quelle est la situation dans le monde et en Algérie ?

 

Pendant les premiers mois de l’épidémie (décembre 2019 à février 2020), les cas observés étaient concentrés dans la ville de Wuhan avec quelques cas épars décrits ailleurs chez des voyageurs ayant séjourné à Wuhan. En trois mois, le virus a été exporté de Chine par des voyageurs et s’est répandu dans le monde qui est devenu un village. La globalisation n’est pas uniquement économique ou commerciale, elle l’est également dans la dispersion des agents pathogènes, des résistances bactériennes. Sorti de Chine, ce virus provoque une pandémie mondiale, c’est-à-dire arriver à provoquer une circulation autochtone et soutenue dans plusieurs pays car les populations ne possèdent aucune immunité, elles sont naïves immunologiquement. Au 16 mars 2020, il y avait 168 019 cas et 6 610 décès dans 148 pays signalés à l'OMS. L’Europe occidentale devient le second épicentre épidémique avec trois foyers épidémiques importants la France, l’Italie et l’Espagne.

Voici quelques chiffres au 16/03/2020 :

  • Chine : 81.077 cas ;
  • Italie : 24.747 cas ;
  • Espagne : 7.753 cas,
  • France : 5.380 cas.

 

Il est à noter que l’Afrique subsaharienne n’est pas encore touchée. S’agit-il d’une question de temps ou de non-importation de cas, ou de particularités climatiques ou immunitaires? Nous le saurons ultérieurement.

 

Comme tout le reste du monde, l’Algérie n’est pas à l’abri des phénomènes microbiologiques mondiaux et le croire, c’est faire preuve de crédulité. Avec un trafic aérien intercontinental, une grande communauté établie à l’étranger, un mouvement de population permanent pour des raisons commerciales, touristiques ou autres, il était évident et attendu que ce virus finisse un jour par s’introduire chez nous. Après le premier cas importé chez un étranger travaillant dans un champ pétrolier, et je tiens ici à féliciter le médecin qui n’est pas passé à côté du cas, un cluster familial a été détecté à Blida à l’occasion d’un rassemblement familial. Actuellement, le MSPRH fait état de 72 cas notifiés avec 5 décès. En dehors du cluster de Blida, tous les cas des autres wilayas sont classés importés de France, d’Espagne, d’Arabie Saoudite, Yémen

 

Question 3 : Comment se transmet ce virus et quels sont les signes de la maladie ?

 

Ces virus respiratoires ont une transmission dangereusement simple. Ils se transmettent très facilement par les gouttelettes que nous dégageons en parlant, en toussant, en éternuant, en embrassant une personne, mais également par le partage de couverts (verre, fourchettes, cuillères) ; c’est une transmission dite de type rapprochée à moins d’un mètre, la promiscuité devient un facteur déterminant. Pour s’en prévenir, il faut simplement tousser, éternuer et se moucher dans un mouchoir à jeter, ou sur le pli du coude fléchi mais jamais dans les mains, car les mains souillées sont très dangereuses.

Si j’expose mes mains lorsque je tousse, j’éternue ou je me mouche le nez, je les contamine avec mes secrétions pleines de virus et de ce fait, je vais partager ce virus avec toutes les personnes à qui je serre la main mais également tous les objets de la vie courante comme la poignée de la porte, la rampe de bus ou de métro, le clavier de mon PC ou mon smartphone. Il suffirait pour mon parent, copain ou ami de porter sa main souillée par mon passage au visage, au nez, aux yeux pour être contaminé. C’est pour cette raison qu’il est recommandé de se laver les mains fréquemment et au moins 20 secondes avec du savon liquide et de s’essuyer avec une serviette en papier jetable. La solution hydro-alcoolique n’est pas un savon et elle n’a d’efficacité que si les mains sont propres, elle sert à désinfecter et non à laver.

 

Le malade est contagieux avant même les signes cliniques et peut le rester porteur et contagieux plus longtemps. C’est pour cette raison que le dépistage et l’isolement jusqu’à negativation des examens sont nécessaires. Une récente information fait état de la réduction significative de ce portage par un traitement. Certains ne présentent pas de signes et sont dits asymptomatiques ou peu-symptomatiques. Ces personnes infectées, transmettent le virus à leurs amis, leurs parents, sans le savoir.

En faisant simple, pour être contaminé, il faut récolter des postillons de toux, d’éternuements etc., avoir été en contact physique (embrassade, poignée de main, manipulation d’objets souillés par des mains souillées) ou partager un espace de proximité fermé de transport (avion bus, taxi) ou de vie (classe d’école, cinéma, chambre,) ou ouvert (rassemblent de personnes dans la rue, les stades, les lieux de cultes).

Pour casser cette chaine, nous appliquons des mesures-barrières très simples :

  • Repos et confinement à domicile sans sortir et sans recevoir personne (ne prendre que du paracétamol, jamais d’anti-inflammatoires, ni d'aspirine, boire beaucoup d’eau et des tisanes chaudes)
  • Tousser, éternuer, et se moucher dans une serviette jetable
  • Se laver les mains plusieurs fois par jour au savon liquide et s’essuyer avec une serviette en papier, appliquer une solution hydro-alcoolique
  • Mettre un masque à 3 plis dit chirurgical et rester à plus d’un mètre si on doit voir quelqu’un
  • Ne pas encombrer les pavillons des urgences, appeler le numéro-vert et suivre les recommandations.

 

Quant aux signes de la maladie, l’incubation (temps écoulé entre la pénétration du virus dans l’organisme et le début de la maladie) est estimée à 2-14 jours. La présentation clinique évaluée sur les cas diagnostiqués est de type ‘’iceberg’’ avec :

  • Dans 80% des cas des symptômes banals d’infection respiratoire avec une fièvre, une toux sèche pénible, des courbatures, une fatigue. Quelques fois, les signes sont tellement légers qu’on n’y prête même pas attention. Ces cas sont les plus dangereux dans la transmission dans une population car ils négligent la maladie, ne consultent pas et souvent ne prennent pas de précautions. Ils continuent à embrasser les autres, à aller à la mosquée, à d’autres rassemblements de famille ou de travail ou autres et disséminent de façon innocente la maladie.
  • Dans 15% des cas une forme sévère avec une pneumonie nécessitant une hospitalisation, et dans 5% des cas une forme grave un syndrome de détresse respiratoire aigu une avec multi-viscérale compromettant le pronostic vital. La létalité, qui est le pourcentage de décès sur le nombre cas observés est estimée à 2.3%.
  • Il reste la base invisible de l’iceberg représentée par les personnes asymptomatiques non diagnostiquées. Si on arrive à l’estimer, cela changera le pourcentage des formes observées
  • Les formes graves s’observent essentiellement chez des personnes âgées, ou personnes avec ou cumulant des comorbidités, maladies chroniques telles que le diabète, les maladies cardiovasculaires, les bronchopneumopathies chroniques, insuffisants rénaux, les patients dialysés, greffés, sous traitement immunosuppresseur, les personnes en immunodépression etc. Et ces états de vulnérabilité et toutes ces comorbidités sont fréquents dans notre population.

 

Curieusement, les petits enfants sont moins touchés pour des raisons non encore expliquées. Y en a-t-il moins en Chine ? Seraient-ils moins exposés, ou protégés par une immunité induite par les coronavirus habituellement en circulation à cet âge ? Ou par une immunité croisée induite par un vaccin de maladie virale de l’enfance telle la rougeole, la rubéole appliquée en Chine ?

Ce ne sont que des hypothèses ; l’avenir nous le dira.

 

Concernant le traitement, il n’y a pas de conduite consensuelle. Divers antiviraux dont ceux utilisé dans le traitement du VIH, de la grippe, de l’Ébola et une molécule antipaludique semblent donner des résultats prometteurs. Je pense que rapidement nous allons avoir un protocole validé. Les formes graves nécessitent une prise en charge en réanimation avec des protocoles connus de nos réanimateurs

 

Quant au vaccin, plusieurs institutions et laboratoires travaillent dessus. Les plus avancés seraient chinois. Le vaccin doit passer des phases de validation ; ce qui demande du temps

 

Question 4 : Avons-nous les moyens de faire face à cette maladie ?

 

Par moyens, moi je comprends : 1. Compétences, 2. Infrastructures, 3. Volonté politique, 4. Concept de riposte, 5. Engagement, adhésion et implication de la population

 

  1. De la compétence : beaucoup de choses négatives se disent à propos des médecins algériens mais il y a une chose que je comprends dans l’acte de soins : il y a la compétence, les moyens et l’environnement d’exercice. On constate que l’Algérie et beaucoup d’autres pays africains sont en train de former pour d’autres pays essentiellement du nord. Nos médecins arrivent à décrocher des postes et s’ils y arrivent, c’est que quelque part, ils ont des qualités et des qualifications surtout avec cette nouvelle génération de bourgeons qui écument la toile avec boulimie. Ils y trouvent les moyens et un environnement des plus favorables au développement des connaissances et de la qualité de l’acte de soins. Personnellement en tant qu’enseignant en infectiologie, je peux vous garantir que les infectiologues, les autres spécialistes, les généralistes sont prêts depuis l’alerte car il s’agit d’une génération boulimique qui partage le savoir dans des réseaux que je visite régulièrement. Le médecin algérien mérite toute la confiance pourvu qu’on lui offre un environnement plus attractif, décloisonné, plus sécurisé ; mais ceci est un autre débat.

 

  1. Des infrastructures : l’endroit où vous me rencontrez aujourd’hui est un ancien sanatorium, c’est quoi à votre avis ? Ces structures qui datent de l’époque coloniale ont été construites pour répondre à un besoin de santé prévalent qui est la tuberculose qui faisait de ravages. Il en est de même pour l’hôpital d’El-Kettar qui était destiné à isoler et traiter les maladies contagieuses de l’époque, le choléra, la peste, le typhus et à au CHU Mustapha, il y a un pavillon qui porte sur le fronton ‘’Institut du trachome’’. Cela veut dire qu’il faut prévoir des structures dédiées à la pathologie prévalente ou menaçante. Ainsi, pour répondre aux préoccupations actuelles, il a été créé des centres spécialisés, les Centres Anti-Cancer, l’Institut National du Rein. C’est magnifique. Mais à ce jour, malgré les différentes menaces de maladies émergentes de portées internationales (SRAS-2003, Grippe A/H5N1, MERS-CoV, COVID-19, fièvres hémorragiques, menace bio terroriste etc.) nous n’avons pas encore de structures aux normes de sécurité biologiques pour répondre à un éventuel risque d’introduction de maladies hautement contagieuses ou une menace malveillante. Je pense que les menaces ne vont pas s’arrêter et cette épidémie vient nous rappeler qu’il est nécessaire d’inscrire l’idée et de réactiver le processus ; je le dis parce que je sens une volonté de changement dans la démarche officielle.

 

Actuellement, cette épidémie va nous défier comme elle a défié les autres pays dans la prise en charge des formes graves. On constate le à travers ce qui se passe en Italie, en France, en Espagne où les services de réanimation ont rapidement été débordés. Dans la gestion des épidémies, il est classiquement recommandé d’anticiper et de toujours essayer d’éviter le pic et de l’étaler dans le temps pour ne pas dépasser les capacités des structures en agissant plus en amont c’est-à-dire dépister-isoler-confiner. Il faudrait inscrire au cas échéant, un redéploiement d’autres structures publiques ou privées à cette mission et je viens d’apprendre une anticipation par la mobilisation de 5.000 respirateurs.

 

  1. De la volonté politique : je le redis encore, il y un effort très important, palpable qui est entrepris en termes de communication.
  • Contrairement à ce que nous avons l’habitude de vivre lors des épidémies précédentes, nous avons chaque jour un état de la situation, des messages de prévention en boucle, des débats scientifiques sur plateaux, une ouverture de portails-web des organismes concernés (IPA, MSPRH, INSP). C’est la première fois que nous disposons d’un numéro-vert pour répondre aux soucis des patients. Il restera à exploiter d’autres espaces de communication comme le web car tout le monde surfe sur Google, Facebook ou YouTube ou autres et peu, suit les écrans télé.
  • C’est la première fois, que je vois un problème sanitaire urgent débattu à la commission santé de l’APN, que Messieurs le Ministre de la santé, et le Premier Ministre répondent sur des plateaux, et que Monsieur le Président de la République, s’adressent à la nation pour décréter les mesures prises par son gouvernement et ériger l’épidémie en sécurité sanitaire nationale. Vous allez me dire que la portée de l’évènement est différente et d’importance, je vous réponds que je l’inscris comme un acquis.

 

  1. De la riposte aux menaces :

En dehors des menaces d’émergence mondiale, l’Algérie est prise en tenailles par deux interfaces :

  • L’interface nord, méditerranéenne qu’elle partage ses nos voisins et qui l’expose aux risques infectieux venant du nord et tout ce qui se passe dans le bassin. L’introduction du moustique tigre en est un exemple simple.
  • L’interface sud subsaharienne qui est devenue poreuse et qui l’expose aux risques tropicaux.

Beaucoup de confrères n’arrêtent pas de plaider, à juste raison, pour une agence de la santé et un institut de veille sanitaire. Le concept de veille et de surveillance existe depuis les années 70 avec la création de l’INSP et Mr le Professeur Guidoum (Allah yarehmou) du temps où il était ministre de la santé, avait initié la création d’une veille régionale avec les ORS (observatoires régionaux de la santé), et Mr le Dr Barkat, Ministre de la santé avait lui aussi lancé l’idée d’un département des maladies émergentes comme l’observatoire tunisien. Créer une agence de veille sanitaire ou booster l’INSP pour en faire une et à mon sens un chantier à inscrire et pourquoi ne pas réfléchir en projection régionale, pour un centre maghrébin comme l’ECDC (centre européen de contrôle des maladies) puisque nous partageons les risques.

 

L’Institut Pasteur d’Algérie (IPA) est un bijou. Actuellement nous y avons de grandes compétences qui y travaillent mais le ramener à faire la confirmation du vibrion cholérique, c’est, quelque part, le détourner de sa mission de recherche approfondie. Au cours des épidémies précédentes de choléra, le diagnostic se faisant par le laborantin de garde ce qui n’a diminué en rien de la qualité du diagnostic. J’aurai aimé que l’IPA ait de quoi génotyper le vibrion de Blida et nous dire s’il vient de Haïti, du Népal ou du Soudan, que le moustique Aides Albopictus, qui est rentré chez nous, nous vient d’Europe ou d’Asie. Nul besoin alors, de voir nos doctorants aller ailleurs pour décrypter les génotypes de résistance des germes de leurs travaux de recherche. Je n’aime pas que nous soyons des ‘’porteuses d’eau’’.

 

Cette épidémie de COVID-19 a mis à jour la nécessité rapidement comprise par les autorités de faire une décentralisation des diagnostics au niveau des régions et pourquoi pas au niveau des CHU de l’intérieur car les compétences existent, il suffit de les doter de l’appareillage nécessaire car actuellement tout est automatisé. Je me souviens lors de mon service national en 1983 à Tamanrasset, l’OMS avait organisé un séminaire sur ‘’les risques d’introduction de maladies tropicales par l’ouverture la route transsaharienne’’. Mr Le Professeur Bouguermouh, notre ainé virologue que Allah nous le garde, était le boss algérien. Il avait été retenu la création d’un observatoire (clinique et biologie) pour dépister, prendre en charge les cas de maladies tropicales introduites. C’en est où ? Voici une région très spécifique constituant une convergence des flux migratoires, un carrefour d’échanges de populations transfrontalières, une plaque tournante d’introduction de maladies et de zoonoses tropicales où il est urgent d’installer un institut de surveillance et de traitement des maladies tropicales. L’adduction en eau de cette région à partir du bassin de In Salah est un impératif de développement mais qui va certainement s’accompagner de création de nouveaux écosystèmes vectoriels dont il faut anticiper l’importance. Juste pour rappeler que le moustique du paludisme à falciparum a tenté une remontée et découvert par Pr Harrat et Pr Boubidi à Tin Zaouatinen 2007.

 

Il est clair que nous ne pourrons plus affronter les défis sanitaires de 21e siècle avec une approche organisationnelle des années antérieures. Les risques émergent, des menaces malveillantes peuvent être en orbite, les concepts changent et évoluent, les approches et les ripostes le sont nécessairement. Il est peut-être temps de se reposer ces questions.

 

  1. Adhésion, engagement et implication de la population.

 

Chaque épidémie est une leçon et cette épidémie de COVID-19, un cas d’école, nous apprend comment des pays sont arrivés à contenir et éteindre un phénomène émergent, explosif. Une des peurs caractéristiques des phénomènes épidémique c’est la réaction négative d’une population mal ou peu informée qui peut aboutir à des situations de panique difficilement contrôlable et qui quelque fois serait plus délétère que la maladie elle-même.

 

Pour cette épidémie, la première leçon à retenir c’est qu’il n’y a pas de traitement et pas de vaccin. La prévention reste la seule arme dont nous disposons et qui est appliquée par tous les pays touchés riches ou pauvres. Cette prévention est basée sur le changement de comportement de l’individu qui consiste de se protéger, protéger les siens et protéger les autres par des moyens simples accessibles, peu couteux qui sont des mesures appelées barrières.

 

La Chine et la Corée qui ont contenu l’épidémie, Singapour qui en a bloqué l’avancée viennent de donner une leçon d’exemplarité citoyenne. Arriver à confiner Wuhan de 11.000.000 d’habitants, à soumettre au diagnostic de rue tous les coréens et tout cela ne peut se faire qu’avec l’approbation, l’adhésion de la population, c’est ce qu’on appelle l’implication par conscientisation. L’implication de la population, son inscription dans la démarche préventive est un garant de l’efficacité de l’action. Être citoyen c’est avoir des droits dans la cité mais c’est aussi assumer ses devoirs envers cette cité.

 

Il est désolant de voir, que malgré toutes les informations circulant sur le web, ou émises par nos autorités, certains continuent à s’inscrire dans la désobéissance, le déni, l’opposition irrationnelle alimentés par le doute de la mésinformation.

 

Les virus n’ont pas de sentiments, ils ne viendront pas pleurer sur nos tombes, c’est nous qui allons pleurer sur la tombe de ceux qu’on aime.

 

Le meilleur sens que je donne au regret, c’est qu’il nous rappelle nos erreurs

 

Dr. Rabah AIT-HAMOUDA, Professeur en Infectiologie

Vice-Président chargé de la Commission Scientifique de la Société Algérienne d’Infectiologie (SAI)

 

Service des Maladies Infectieuse, EPH et Faculté de Médecine, Université Ben Boulaid, Batna 2

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Source:

Entretien avec le professeur Rabah Ait Hamouda, ‘mieux connaitre le covid19 pour mieux le combattre’. Conseil de l'ordre des pharmaciens-Région de Batna

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Vidéos du Pr Rabah AIT-HAMOUDA:

 

 
 
 
 

 


04/03/2023
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