Divers
Le printemps noir ou la colère des genêts
Quand les murs deviennent exigus et qu’il ne reste plus de place aux autres,
Quand les bras ne servent à rien sinon à pendre, se croiser ou cacher les mains dans des poches vides ou trouées
Quand l’AK47 devient maladroit, distrait ou fou et se vide sur celui qu’il est censé défendre des hordes moulées ailleurs,
Quand le verbe devient pubien, et comme des pierres jetées aux femmes
Quand des balles "pourtant normales" fracassent les cerveaux d’adolescents émeutiers
Quand l’incendie de la pinède de Baïnem devient inquiétude, fait la une du vingt heures et que le brasier des genêts est rangé dans l’habitude
Quand les cris ne portent pas plus loin que les montagnes sciemment érigées par la tectonique et l’Histoire
Alors le petit émeutier aphone écrit sur le mur d’un arrêt de bus de la RN5 près d’El Adjiba*:
-"Ne tirez pas sur nous, nous sommes déjà morts"
Trop tard, il est mort!
Mort ? tu es sûr ?
Oui il est mort te dis-je!
Mort de ne savoir que faire de sa vie
Mort, tué par ce temps qui ne veut pas finir à compter les voitures qui passent
Mort, tué par sa gorge qui a tant crié et que personne n’a entendue
Mort, tué chaque jour par l’arrivée de la nuit et par la peur d’être surpris par les autres sur les chemins qui montent
Mort de rentrer, la tête basse rien dans les mains, prendre effacé, un reste de couscous avec un oignon puis se faufiler entre deux paillassons en espérant faire un rêve.
Oui rien qu’un rêve, pas plus.
Le rêve d’être dans un atelier avec un outil et gagner de quoi remplir un couffin et de renter au village altier comme un arguez
Le rêve de voir son diplôme ailleurs que dans un placard poussiéreux, maintes fois joint à des dossiers d’embauche sans retour
Le rêve de prendre tendrement la main d’une amie et vivre un bourgeon d’amour sur un banc du jardin de Birkhadem sans être apostrophé ni embarqué pour outrage alors que l’outrage est ailleurs dans des salons calfeutrés
Le rêve de partager sa vie, à défaut cet éternel couscous aux fèves ou aux lentilles sur une nappe même si elle n’a pas de dentelles
Le rêve d’avoir de petits chenapans qui apprendront autre chose à l’école que des Tarbiyates
Le rêve de leur parler et leur chanter comme sa mère le lui a appris.
Le sommeil emprunté au Rivo** arrive enfin et le gave de cauchemars: vrombissement de Azraïn***, aboiements de bergers allemands, crépitements de fusils automatiques…. Et puis des hurlements.
Le jour se lève.
La montagne est belle,
La montagne est belle mais pauvre depuis qu’elle a perdu la blancheur de ses crêtes.
La vie aussi est pauvre.
Que va t il faire aujourd’hui ?
Descendre pour compter encore les voitures qui passent?
Crier encore dans la rue des mots que les autres osent à peine chuchoter de peur d’être entendus ou par politesse de ne pas parler la bouche pleine ?
Ou
Embarquer avec d’autres sur un esquif hasardeux dans l’espoir de faire naufrage sur des terres inconnues ?
Contrairement à ses amis, il choisirait le blizzard canadien au bush australien.
Et le froid ?
Le froid ? Il l’a toujours connu quand tout petit déjà, il faisait des kilomètres avec des bottes en plastique et un reste de cartable pour partager avec d’autres une classe à peine chauffée.
Mais,
Quand les nuits deviennent longues et que les contes ne font plus dormir
Quand rêver devient un rêve et que le futur ne se conjugue plus
Quand la rime ne vient pas et que le vers devient amputé
Quand le mandole rebelle qui a tant chanté devient orphelin
Quand la gorge devient sèche et que la voix s’éteint
Et quand les larmes de toute une vie ne suffisent pas à apaiser la colère des Dieux
Alors,
Le printemps s’enflamme, les genêts s’embrasent, les cigales se taisent
Et les cerisiers ne fleurissent plus.
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* L’abri bus d’El Adjiba près de Bouira a depuis été rasé
** Rivo** (rivotri)l : benzodiazépine consommée comme drogue
***Azraïn : nom donné par les émeutiers à un engin avec canon à eau utilisé lors des émeutes.
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Rabah AIT-HAMOUDA.
Bribes de vie, Batna, Mai 2001
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P.S. : Rabah AIT-HAMOUDA, professeur en infectiologie à la faculté de médecine de Batna, est décédé le 18 novembre 2022.